Billet par Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France
Extraits du journal Actualité Juive N° 1189 du 15 décembre 2011
L’insurrection menée par Judas Maccabée contre l’Empire séleucide au IIe siècle avant l’ère chrétienne est à la fois politique et religieuse. Elle fait apparaître les tensions qui déchirent le peuple de D.ieu: nation juive et/ou religion juive? Pour saisir les richesses théologiques des livres des Maccabées qui la relatent, il nous faut les resituer dans leur cadre historique.
Le second Livre n’est pas la suite du premier: tous deux parlent des mêmes événements mais de manière différente, un peu comme les Livres des Rois et des Chroniques. Les Livres des Maccabées nous racontent l’insurrection du peuple fidèle contre les Séleucides et contre ceux des Juifs qui voulaient helléniser la nation, mettant ainsi en péril la religion d’Israël.
Les événements du Livre II se déroulent entre -176 et -160, alors que le Livre I commence vers la même date, mais prolonge son récit jusqu’à la mort de Simon, au printemps de -134. Les deux Livres nous racontent les dernières années de la souveraineté des Séleucides, mettant surtout en évidence l’action politique et militaire d’Antiochus IV Epiphane (165-164) et d’Antiochus Eupator (164-161) en vue d’écraser la résistance juive à l’hellénisation.
Les deux livres sont parallèles et racontent la même histoire; le premier est plus sobre et plus soigné dans sa composition. Il décrit tout, raconte avec plus de précision et de continuité. Il met en valeur non seulement la Loi, mais aussi la famille de Mattathias – la famille des Maccabées – qui continua le même combat jusqu’à l’indépendance de la nation et la liberté religieuse.
Le premier Livre est un exemple de littérature nationale dans la même orientation que les livres de Judith et d’Esther. Au-delà du récit des événements, il implique une théologie de la guerre qui est nouvelle: les livres de Josué et du Deutéronome donnaient une lecture de la conquête dans laquelle D.ieu combattait pour son peuple (Jos. 24, 5-12), (Deut. 20, 1-4). Cette fois, D.ieu n’intervient pas directement, mais suscite un homme providentiel: «A cette vue, le zèle de Mattathias s’enflamma et ses reins frémirent, une colère selon la Loi monta en lui» (1 Mac. 2, 24). Référence implicite est faite ici à l’époque des Juges où la lutte contre l’ennemi étranger (notamment les Philistins) était également un combat contre le paganisme. Ces réminiscences du livre des Juges se voient aussi dans l’enchaînement des événements: le peuple se détache de D.ieu qui le fait châtier; puis la pénitence de certains conduit D.ieu à susciter un chef, que l’on peut rapprocher des Juges (6, 1 ou 7).
Le courage et l’habileté de ce chef n’ont de valeur et d’efficacité que par sa foi en D.ieu. On le remarque aux mots d’ordre donnés par Judas Maccabée, à son souci de la pureté et des observances de la Loi, à son humilité dans le succès.
À partir de cette époque, la révolte armée contre l’occupant sera une tendance permanente en Israël. L’agitation qui se développe après la mort d’Hérode en -4 paraît répondre à des motifs complexes. Les Zélotes refusent la domination romaine en soutenant que D.ieu seul doit gouverner son peuple. De tels mouvements conduiront aux révoltes de 66-70 et de 132-135 et entraîneront la destruction du Temple et l’interdiction faite aux Juifs de pénétrer à Jérusalem. Cependant, ils n’ont jamais fait l’unanimité: le livre de Daniel et le deuxième des Maccabées restent très réservés à l’égard de l’action directe et les Pharisiens et les Sadducéens ne se joignent pas dans leur ensemble aux révoltes de 66 et de 132, ou cherchent très vite à s’en démarquer.
Le Livre I est plus sobre, le Livre II est plus oratoire. S’il y a parmi les écrits juifs, inclus ou non dans le canon biblique fixé par les Sages, des livres de toute beauté, y compris au point de vue littéraire: Isaïe, Job, le Cantique des Cantiques, les Psaumes, d’autres – tel le Livre II des Maccabées – sont pauvres de style, sans éclat, fatigants par leur éloquence rhétorique et ampoulée. Mais que l’auteur écrive mal n’enlève rien à la justesse de son interprétation théologique. Peut-être l’écrivain croit-il que le livre est entièrement le fruit de son labeur, de sa fatigue et de ses veilles. Le livre est à la fois le fruit du labeur et des veilles mais aussi celui de l’inspiration divine sans que l’auteur en ait peut-être conscience.
C’est ainsi que D.ieu sait se cacher sous l’apparence la plus simple, la plus commune. D.ieu est si bien caché dans la vie de l’homme que celui-ci n’a pas conscience de sa présence. D.ieu nous est plus intime que nous-mêmes. Et dans le deuxième livre des Maccabées, D.ieu est sans doute présent, bien que l’écrivain n’en ait pas eu clairement conscience. Ce n’est pas le moindre des enjeux de sa lecture.