La laïcité à l’israélienne

Depuis quelques mois, l’opinion publique et la classe politique européenne s’interrogent sur le devenir de la société laïque. Quel rôle doivent y jouer les religions ? Quelles limites leur imposer sans entraver la liberté de culte ? Quelle place accorder aux interdictions alimentaires ou aux obligations cultuelles dans l’espace public ? Quelle attitude adopter lorsque le refus de la mixité homme-femme dépasse le cadre des vestiaires de sport ?

En Europe, ces questions concernent moins la religion, en tant que telle, qu’elles ne visent les minorités religieuses qui n’opèrent pas de stricte séparation entre la religion et l’État.

Le principal souci de cohabitation entre les mondes laïcs et religieux auquel Israël doit actuellement faire face ne correspond pas à un problème de relation ou d’équilibre entre minorité et majorité comme en Europe.

État juif, Israël ne sépare pas de manière obligatoire et systématique la religion de l’État. Par conséquent, un point de vue à partir des valeurs démocratiques laïques n’est jamais très loin d’être abordé aussi sous l’angle de la religion. C’est pourquoi il n’existe pas à proprement parler de sujet qui ne mêle pas le politique au religieux et inversement, la société considérant cette proximité comme normale dans la mesure où elle n’est ni imposée ni subie.

Les récentes affaires en Israël de femmes agressées par des censeurs par trop zélés chassant avec violence toute supposée impudeur de leur environnement et les vagues de protestations qui s’en sont suivies – venant de la société civile, des hommes politiques comme de tous les courants orthodoxes israéliens et français, ont fourni la matière première d’un débat sur la laïcité à l’israélienne largement médiatisé.

Des hommes ont insulté et agressé des femmes dans la rue parce qu’ils n’approuvaient pas leur tenue vestimentaire ni leur comportement, qu’ils jugeaient immodestes ou impudiques.

Bien que se réclamant de la Torah – qui interdit de faire à autrui ce que l’on n’aimerait pas qu’il nous fasse-, ils n’ont pas hésité à les humilier publiquement. Or, l’injure faite aux femmes, en tant que femmes, est une faute au regard de la Thora qui prescrit que chacun doit aimer son prochain comme soi-même et que la femme doit être aimée de l’homme, mais respectée plus qu’il ne se respecte lui-même. Chacun sait le rôle central que la femme occupe dans la tradition juive et la place fondamentale que le Judaïsme leur accorde.

Qu’une infime minorité qui ne représente qu’elle même -autant dire rien-, s’arroge le droit extraordinaire d’agresser des femmes au nom du Judaïsme est totalement insupportable et condamnable. Leur forfait est d’autant plus grave que prendre les femmes comme cibles, c’est dévoyer le Judaïsme, sa tradition et ses lois, en créant confusion et division.

Or, depuis sa création, Israël est un État juif et démocratique, où les citoyens jouissent de droits égaux, sans que la loi ne distingue l’âge, la religion ou le sexe comme des critères discriminants. La mixité, à tous points de vue, y est totale depuis la fondation d’Israël comme État libre pour un peuple libre. Les mains des pionniers venus du monde entier tenir des pelles, planter des arbres ou creuser des routes étaient celles de religieux et de laïcs, d’hommes et de femmes qui tous partageaient un même idéal de liberté et d’égalité.

Aujourd’hui comme hier, les conscrits qui assurent la sécurité du pays ou accomplissent un service civil, sont des jeunes femmes et des jeunes hommes, pratiquants ou non, qui remplissent leur devoir civique. Au plus haut niveau de l’État -où une femme, Golda Meir fut premier Ministre il y a 40 ans-, l’actuel Premier vice-premier ministre d’Israël est de stricte observance religieuse tandis que le Premier ministre est un laïc qui respecte la religion.

Pour étrange et différente qu’elle paraisse, surtout à des Français, la laïcité existe pourtant bel et bien en Israël. Elle est dans ce mélange, cette mixité qui confronte les différences, les points de vue particuliers, et oblige à discuter, à interpréter, à ne rien considérer comme définitif ni acquis sinon le refus de l’injustice, de la violence et de l’intolérance. La laïcité à l’israélienne est cet espace de discussion, de confrontation et de médiation qui joue un rôle d’incubateur et de révélateur d’idées si fortes qu’elles déclenchent parfois des passions spectaculaires.

Or, c’est précisément parce que tout se déroule toujours sur la scène publique, affaires d’État comme de religion, que le dialogue même rompu finit toujours par se renouer, de peur probablement de remettre en question l’identité juive indissociable de l’identité nationale israélienne. L’essentiel pour la laïcité israélienne n’est pas d’être d’accord sur tout, mais au moins de pouvoir parler de tout et de finir par s’entendre !

(Extrait d’Information Juive n°318 – Janvier 2012)