Parachath Choftim

Parachath Choftim
Au-delà du pouvoir politique
Rabbi Elie Dahan,  Rabbin régional Nord Pas de Calais

A quelle idée fondamentale renvoie le concept de royauté dans la tradition juive ? La réponse se trouve, dans un premier temps, dans notre paracha qui nous donne l’ordre de nommer un roi qui nous impose son autorité : « Placer, tu placeras sur toi un roi… » (1). De ce texte, le Talmud dégage deux règles qui vont nous entraîner vers une réflexion très originale où la notion de roi sera bien loin de celle pratiquée chez les nations.

A propos de ce verset, le Talmud (2) nous offre deux pistes de réflexion : si un roi refuse les honneurs dus à son rang, on ne l’écoute pas. On doit lui témoigner tous les honneurs dus à son rang. Pour quelle raison ? Parce que la crainte de son autorité doit être sur nous. L’explication de cette règle est la suivante : selon les normes de la Thora, nous devons témoigner de l’honneur à toute personne dont le statut est hiérarchiquement plus élevé que le notre, comme un Rav, notre père ou notre mère. Mais ces individus peuvent refuser ces marques de respect s’ils le veulent, à l’exception toutefois d’un seul : un roi d’Israël, qui ne peut s’y soustraire. La raison de cette règle est immédiatement donnée par le Talmud : la crainte de son autorité doit être posée constamment sur nous. A partir de ces deux repères, nos Maîtres nous proposent de réfléchir sur la notion profonde du concept de royauté.

Une police personnelle

Dans un premier temps, la Thora reconnait que la gestion politique et sociale des hommes est un exercice difficile. Ce constat est confirmé par les Pirké Avoth (3) qui nous demandent de prier pour un pouvoir (royal) fort car si la crainte de ce pouvoir n’existait pas, l’homme avalerait « vivant » son prochain. Les hommes n’étant pas capables de s’autogérer, ils ont besoin d’avoir, au dessus d’eux, un pouvoir politique qui assure la paix sociale. C’est pourquoi un roi ne peut renoncer à son rang hiérarchique (élevé) car la paix de la société dépend de son autorité (reconnue). Cependant, les commentateurs font remarquer qu’une certaine limite à cette autorité peut exister : à quoi sert le pouvoir royal quand les hommes sont en mesure d’exercer un pouvoir sur leur propre personne, sans une autorité extérieure ? Si chacun s’impose sur lui une « police morale » à quoi peut bien servir un roi ? D’autant plus que le Thora elle-même nous incite à créer cette morale personnelle. Notre verset, cité plus haut, s’exprime, en effet, au singulier : « Placer, tu placeras sur toi un roi… », comme si la Thora voulait nous dire qu’il fallait s’imposer une autorité individuelle sur notre propre personne (tu placeras) avant l’instauration d’une autorité collective.

Un intermédiaire 

Effectivement, expliquent nos Maîtres, il existe un autre but à l’instauration d’un roi. Même quand la société parvient à maintenir un climat de paix sociale et que les hommes parviennent à s’entendre, un roi doit exercer une fonction différente et supérieure à la première : élever le peuple, par son exemple, à un degré exceptionnel de soumission à D.ieu. Il ne suffit pas que les hommes vivent dans la paix. Dans un second temps, ils doivent chercher à s’élever vers D.ieu. C’est ce qui explique que, dans la tradition juive, le roi n’est pas seulement un homme politique. C’est l’incarnation de D.ieu sur terre. La royauté d’en bas ressemble à la royauté d’en Haut affirme le Talmud (4). Le roi est comme un intermédiaire entre les hommes et D.ieu et cette position est un tremplin pour aider les hommes à s’élever spirituellement. Du fait de sa proximité avec le Créateur, il atteint un degré d’humilité que personne ne peut connaître. Il aura alors pour tâche de propulser chaque homme vers D.ieu. On peut comprendre aisément, à partir de là, que la deuxième fonction du roi a plus d’importance que la première, puisque l’autorité peut s’imposer par l’individu lui-même alors que seul le roi est capable d’éduquer l’homme à se soumettre réellement à D.ieu du fait de sa proximité avec Lui. 

Notes
(1) Devarim, chap. 17, verset 15

(2) Traité Kiddouchine, p. 32b

(3) Chapitre 3, Michna 2

(4) Traité Béra’hoth, p.58a