Le Monde.fr | 22.11.2012
Par souci d’efficacité et de cohérence dans la lutte contre le terrorisme, il est des dénis qu’il faudrait éviter de commettre. En vertu de la liberté de penser et d’agir qui fonde nos démocraties, il est des amalgames qu’il faudrait se garder de perpétuer. Lorsque Mohamed Merah a exécuté d’une balle dans la tête des petits enfants juifs à Toulouse, nous avons été les premiers à dire qu’il ne fallait surtout pas stigmatiser les musulmans de France, au motif que l’assassin des juifs et des soldats français était un islamiste radical. Lorsque six mois après, une grenade a été lancée dans un magasin casher à Sarcelles par un converti au djihad islamiste, nous avons tout autant refusé de confondre islam et islamisme terroriste. Les raccourcis de pensée font mauvais ménage avec « le vivre-ensemble » comme l’harmonie civile.Mais lorsque, après une pluie de 12 000 roquettes en 12 ans, lancées à l’aveugle sur la population d’Israël, son état-major réussit une frappe ciblée contre le responsable -le chef de la branche armée du Hamas-, il faudrait aussi se garder d’assimiler à des bourreaux, un État démocratique et sa population pris quotidiennement pour cibles par des terroristes puissamment armés. Lorsque le consensus est finalement obtenu en France pour dénoncer l’islamisme radical comme un terrorisme antisémite violent, qu’il faut combattre sans réserve et traquer avec la dernière obstination – derrière chaque acte et chaque mot qui appelle à la haine et aux meurtres -, la même intransigeance devrait être observée à l’égard de tous les actes antisionistes qui visent la population israélienne. Parce que derrière chaque Israélien pris pour cible en Bulgarie, en Israël ou ailleurs, c’est un Juif qui est visé autant que l’État des Juifs qui est haï, parce que juifs, ils sont coupables d’être et de continuer d’exister.
S’il faut se défendre de confondre islam et terrorisme, il faut en revanche confondre antisémitisme et antisionisme actuel, car telles sont les deux réalités contemporaines qu’il est dangereux pour l’avenir comme la paix de nier. Certes, on pourrait être antisioniste sans haïr les Juifs, sans vouloir la destruction de leur État moderne et préférer l’Israël biblique éternelle. On le pourrait…sauf que la pratique dément tous les jours la théorie et la confronte douloureusement à l’épreuve des faits sanglants. C’est pourquoi, il faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de la mesure tiède. Par excès de bonne conscience, refus de prendre position ou de s’engager dans un combat pour la survie de nos valeurs démocratiques, il faut refuser de mettre dos à dos, par un pseudo souci de neutralité, terrorisme islamiste d’un côté et sionisme de l’autre, sur le modèle d’un conflit intercommunautaire qui n’existe pas.
Car, que l’on y regarde de plus près, avec honnêteté et donc rigueur, hormis l’exception d’un tueur fou à Hébron, que l’on cherche trace d’attentats ou de bombes posées par des Juifs ou des Israéliens pour tuer à l’aveugle des civils. Que l’on cherche la preuve d’un prosélytisme actif et conquérant, quand les juifs et les Israéliens ne seront jamais qu’une toute petite minorité parmi les nations et les peuples. Que l’on cherche les femmes et les enfants juifs ceints d’explosifs envoyés au martyr, au nom de la haine de l’autre et d’une civilisation de l’islam. Que l’on cherche les mosquées et les écoles musulmanes ceinturées de murs de protection et de caméras de surveillance, gardées par les forces de l’ordre pour éviter que des juifs n’attaquent des croyants et tuent des enfants. Que l’on cherche des jeunes juifs en kippa et en bande armées de barres de fer ou de marteau pour frapper des jeunes musulmans isolés au sortir de l’office. Que l’on cherche bien et que pour une fois, on accepte de conclure que tout cela n’est pas. Que l’on accepte que rien de tout cela n’existe parce que de même qu’une population délinquante marginale ne fait pas tous les musulmans, il est un fait que les juifs pas plus que les Israéliens n’ont de haine ni de rêves de vengeances et qu’ils veulent, pour la plupart, voir dans l’avenir, le résultat de leurs efforts et de leurs espoirs.
NE PAS METTRE ISRAELIENS ET DJIHADISTES SUR LE MEME PLAN
Il est temps enfin de ne plus mésestimer le poids des mots, le choc des images et les conséquences d’une inconséquente cécité. C’est le même terrorisme islamiste qui tue en France, en Bulgarie, à Madrid, en Amérique et en Israël. C’est le même radicalisme djihadiste qui veut partout tuer les Juifs en visant Israël, et anéantir Israël en assassinant des Juifs. Ce sont les mêmes fous d’Allah qui instrumentalisent partout l’islam contre Israël et haïssent l’Occident et la démocratie et veulent la perte de l’un comme symbole des autres.Il est temps de ne plus assimiler à des victimes, des bourreaux qui utilisent leur population comme pare-feu et le double langage comme une arme. Il est temps de reconnaître que la guerre des pierres est d’un autre âge de la manipulation des opinions publiques et qu’aujourd’hui, c’est à coup de roquettes et de lances missiles sophistiqués que les islamistes tuent des Juifs. Car c’est bien de cela dont il s’agit, et se voiler pudiquement la conscience ne sert qu’à mieux fermer les yeux sur la réalité et ses dangers. Aujourd’hui comme hier, notre empathie va à nos frères et à nos sœurs d’Israël dont nous partageons la même famille du judaïsme et qui vivent au rythme des tirs de roquettes et des attentats. Aujourd’hui comme hier, nous ne pouvons pas rester insensibles aux femmes et aux enfants utilisés comme bouclier humain par des terroristes qui, au lieu de construire des abris pour protéger leur population, préfèrent abriter leurs armes derrière des écoles, des hôpitaux et des habitations. Aujourd’hui comme hier, Israël protègera ses enfants quand les islamistes exposeront les leurs, mais l’espoir de tous les juifs et des hommes de bonne volonté est la paix, ici comme en Israël, et partout dans le monde.
Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France