Foi contre mauvaise foi par Joël Mergui

« Un marquage spécifique est stigmatisant et accréditerait le préjugé que les Juifs seraient cruels »

Créée à la suite du scandale de la viande de cheval retrouvée dans les assiettes des consommateurs sous la mention « viande de bœuf, » la mission commune d’information du Sénat vient de remettre son rapport, lequel plonge la communauté juive dans une certaine perplexité.


Un trouble nous avait déjà saisi lorsque, par « maladresse, » la qualité des travaux de certaines sommités scientifiques internationales avait été remise en cause, en raison d’un patronyme supposé juif. Le refus d’auditionner la prestigieuse Académie Vétérinaire avait semé le doute et certaines déclarations mensongères -sur la perception d’une taxe juive pour alimenter la politique israélienne- ont fini d’inquiéter une communauté qui veut croire que la France restera à l’avant-garde de la lutte pour la sauvegarde des droits fondamentaux de tous les citoyens, quelle que soit leur religion.


Dans le contexte déjà très tendu du refus du Parlement polonais de légaliser l’abattage par saignée directe, en dépit du lourd tribut versé par les Juifs polonais, ce rapport vient fragiliser un consensus européen autour de la liberté de culte de plus en plus attaquée.


La proposition n°38 préconise en effet un étiquetage « non stigmatisant » des viandes en provenance de bêtes abattues sans étourdissement. Dans la mesure où la viande casher se distingue déjà par un marquage spécifique, étiqueter un morceau non casher en le distinguant des autres par une mention, qui précise qu’il a fait l’objet d’un rejet de la filière casher, est en soi une stigmatisation qui accréditerait le préjugé que les Juifs seraient les êtres cruels dénoncés par les manifestants polonais.


Pour la filière viande, le casher représente un pourcentage dérisoire d’un marché dont le volume global est dominé par la viande porcine, qui totalise 2,31 millions de tec (tonne équivalent carcasse) soit plus que la consommation de bovin et ovin réunis, respectivement de 1, 64 millions et 117 000 tec. A l’exception du végétarisme, l’alimentation casher est pourtant la seule à avoir été totalement épargnée par les deux problèmes sanitaires qui ont secoué la filière viande ces dernières années à savoir, la « vache folle » et la transformation de la viande de cheval en viande de bœuf.


Sachant que la filière équine, pourtant mise en cause, a été volontairement écartée du rapport parce qu’elle correspond à 0,3% de la consommation en France, on est en droit de s’interroger sur les motifs à se focaliser sur le casher destiné à une population qui représente moins de 0,80% des français.


Obligation religieuse motivée par l’interdiction de faire souffrir un animal, notre mode d’abattage par saignée directe est le seul dont le geste entraîne avec certitude et de manière quasi instantanée une mort sans échec et sans mal-être préalable.


Strictement encadrée par la Loi, l’exception à l’étourdissement préalable comporte les mêmes obligations et contrôles en matière d’hygiène et de qualité sanitaire de la viande. L’observation et l’absence d’épidémie chez les consommateurs de viandes exclusivement casher suffisent à le démontrer.


Pour autant si le refus de la souffrance animale est au cœur du débat, pourquoi se focaliser sur la pratique juive et oublier les autres exceptions à l’étourdissement préalable, prévues par la Loi ? Pourquoi ne pas se préoccuper aussi du sort des millions d’animaux considérés comme des gibiers d’élevage faisans, perdrix, cailles, cerfs, sangliers dont la mise à mort sans étourdissement par dérogation est autorisée  hors des abattoirs ?


Hors la chasse et la corrida interdites chez les Juifs, pourquoi ne pas se préoccuper de la souffrance des 25 000 volailles et lapin abattus par an sans certificat de compétence, expérience ni expertise par « l’exploitant de la tuerie, son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, un parent ou un allié jusqu’au 3e degré inclus?» Une « dérogation » prévue pour au moins 53% des 250 000 exploitations agricoles à comporter une activité d’élevage.


Pourquoi ne pas se soucier des millions de poussins rebuts de couvoir broyés vifs parce que mâles (art R214-70 et 78 ; R231-6 ; D654-3 du code rural) ou de la mise à mort des animaux à fourrure ?


Pourquoi en revanche accréditer une « histoire d’argent » quand le Consistoire s’est expliqué avec transparence sur son fonctionnement ? Association cultuelle, apolitique, à but non lucratif, le Consistoire n’est pas un acteur économique. Il rend possible l’exercice d’un culte en supportant les coûts de traçabilité, contrôle, formation des opérateurs d’abattoir et les surcoûts des arrières grâce aux consommateurs qui achètent et mangent des produits garantis cashers.


Ne savent-ils pas tous ces négateurs de nos pratiques religieuses que la mauvaise foi a motivé les nazis pour interdire l’abattage religieux dès avril 1933?  Qu’elle met en péril le lien social des communautés nationales ? Sans culte à défendre à quoi sert la loi qui les protège ? Sans Juif, co-fondateurs de l’identité européenne depuis 2000 ans, l’Europe sera t-elle toujours la même ?

Video Senat

Voir la vidéo de l’audition au Sénat au sujet de la Shehita