A nos mères
Il faut le vivre pour le savoir pleinement. Rien ne vaut l’intimité de l’expérience et la force du vécu pour appréhender toute la profondeur, l’humanité et le bien fondé de nos traditions familiales et de nos lois. Celles-ci forment le pivot et le rempart de notre peuple contre toutes les formes d’anéantissement qui guettent les Juifs. Un anéantissement brutal, violent et meurtrier comme notre histoire nous en a hélas montré maints terribles exemples ou une disparition progressive, plus ou moins in- consciente et banalisée par la tentation de l’oubli de soi, de sa filiation, de son identité, comme un héritage trop lourd à porter et dont? on refuse d’assumer sa part de responsabilité.
Nous sommes un petit peuple que tout contraint à disparaître dans l’anonymat, submergé par le nombre, assailli par les haines, attiré par le conformisme, le bien-être de l’indifférence. Pourtant nous avons traversé le temps comme nul autre peuple, de siècles en siècles, sans rien perdre de notre unité et de notre vivacité.
Quel est donc notre secret sinon nos lois et nos traditions appuyées sur une cellule familiale protégée et magnifiée ? Il est dans notre fidélité aux commandements de nos pères transmis par nos mères, nos épouses et qui – grâce à une famille protectrice qui leur donne sens et vie -, se transmettent inlassablement au travers elles comme le plus précieux des trésors.
Hors quelques belles exceptions, nous sommes juifs parce que notre mère est juive. Nous sommes juifs parce qu’elle fut l’attentif et passionné gardien du Judaïsme, un sacerdoce familial exercé mille fois au quotidien, dans son réalisme le plus concret, simple, sincère et ardent, jusqu’au moindre détail qu’elle n’aurait cédé en rien au risque impensable sinon de n’être pas une vraie, une authentique mère juive.
Le secret de longévité du Judaïsme réside dans la famille, dans cette triple alliance que nous avons contractée, de recevoir ensemble La Loi, de l’appliquer – hommes et femmes, chacun en privilégiant nos atouts, partageant la raison et le cœur, l’étude et le soin quotidiens -, de la transmettre pérenne à nos enfants qui à leur tour apprendront à naitre, vivre avec elle avant de la confier à leur tour aux enfants de leurs enfants.
Mais ces Lois qui bâtissent autour du Judaïsme des enceintes protectrices, nous permettent aussi individuellement de protéger nos vies, de leurs garantir un équilibre, de répondre aux assauts de l’existence, à l’usure du quotidien et au risque de l’oubli de nous- mêmes. Les merveilleux rituels de chabbat et des fêtes ont toute leur place dans une société moderne dévorée par le manque de temps, la nécessité de produire, de paraître et de consommer. Un jour par semaine, nous avons l’obligation de dire stop, de sortir du cours habituel des choses, du tourbillon des jours effréné et de vivre dans un ailleurs de convivialité, de recul, d’étude sur soi, sur l’autre et sur le sens caché des événements comme des choses. Point de téléphone, d’internet, de télévision, de voiture ni d’argent, mais le devoir de redevenir une famille, une fille, un fils, un père, une mère, une épouse, un mari, des amis, des voisins, des êtres humains.
Les rites de passage sont construits dans le même respect de l’individu, pour renforcer le lien familial et social, la solidarité du groupe dans lequel il se structure et s’épanouit. Chaque naissance est une fête, l’intégration dans la famille et a communauté d’un nouvel arrivant à qui il appartient de se faire une place parmi les siens et au sein de la société. Chaque enfant qui naît devient ainsi la part d’un « nous » plus vaste qui fait que chaque enfant qui disparaît nous arrache les larmes de désespoir d’un père ou d’une mère, d’un frère ou d’une sœur, d’un époux ou d’une épouse. Les terroristes le savent, certains s’en étonnent : l’amour de la vie est notre point faible.
Notre solidarité avec nos disparus témoigne que nous aimons notre prochain comme nous-mêmes. Les Lois du deuil sont précises, détaillées, évolutives, elles font obligations d’écouter la violence de la douleur, du chagrin, de prendre en compte la déchirure de la perte d’un être cher par la force de l’acte symbolique du vêtement déchiré pour lentement, 7 jours enfermé dans l’affliction complète, – nourri, consolé et accompagné par la communauté familiale – reprendre goût à la vie, sortir renforcé de l’épreuve que l’on n’a pas traversée seul et continuer à suivre sa voie, à la fois grandi et amoindri, car tel est notre lot à tous.
Dans le même esprit, dans la même acceptation de la joie comme de la peine, l’entrée d’un jeune homme ou d’une jeune fille dans sa majorité religieuse est un temps fort de la vie d’un individu et d’une communauté. Cet acte majeur renforce et contribue à perpétuer la famille autant que la communauté et leurs valeurs, à leur donner sens et vie comme elles font naitre en chaque jeune, la responsabilité d’être lui-même, avec ses talents, sa liberté et sa fidélité aux siens. Aux jeunes époux, nos rites enjoignent durant 7 jours de se réjouir en famille, élargie au cercle des amis, d’être reçus par chacun et de prendre en commun de succulents repas de fêtes, parce que l’amour et la joie sont communicatifs et ne sont jamais plus beaux et plus forts que lorsqu’ils sont partagés.
Je suis juif parce que ma mère était juive, qu’elle représentait le pivot de la cellule familiale et que sa foi en la vie a été portée par nos Lois. Pouvons-nous, responsables à notre tour, en faire l’économie, nous dérober, ne pas fonder sur les mêmes bases notre propre famille ? Pour l’amour et la sagesse que nos mères et nos pères nous ont transmis, par amour pour nos enfants, pratiquons tous au moins les lois de la famille juive et choisissons de rester ce que nous sommes de meilleurs : Juifs.
(Extrait d’Information Juive – Décembre 2014)