« Que celui qui a faim vienne et mange ». C’est ce que nous affirmons au tout début de la soirée pascale. Et il ne s’agit pas de se contenter de donner à manger à l’indigent comme nous pouvons le faire tout au long de l’année, il nous faut vivre cette invitation comme l’exigence de partager notre table, notre famille, notre bonheur. Il importe que tous ensemble, dans la grande famille du judaïsme, et même plus largement, nous évoquions avec joie le « passage », la libération symbolique du peuple hébreu, comme une démonstration, renouvelée chaque année, de la faculté que nous avons de sortir de nos enfermements, de quelque nature qu’ils soient.
Nous allons à Pessah, au cours du Seder, nous remémorer et raconter à nos enfants ce que fut l’exode, le départ d’Egypte, le passage miraculeux de la mer rouge, la longue pérégrination dans les pas de Moïse à travers le désert, l’approche du Sinaï, les Tables de la Loi, les doutes, l’arrivée aux rives du Jourdain, dans « le pays où ruissellent le lait et le miel »…Nous allons évoquer aussi l’histoire de nos familles, de leurs pérégrinations, faire la chronique des évènements qui les ont marquées, et rappeler la mémoire de ceux qui les ont forgées.
Il n’est pas neutre que Pessah puisse s’écrire, en hébreu « la bouche qui raconte », Pé Sah. Car c’est bien de la nature du récit, de la façon que nous avons d’envisager et de rapporter notre histoire, l’histoire, que la réalité prend sa forme. Dites à un enfant que ce qui lui arrive est grave et il s’effondrera en pleurs. Dites lui qu’il est grand et qu’il va surmonter sa douleur ou ses difficultés, et il affrontera vaillamment l’adversité. Et il en va de même avec un adulte, comme avec un peuple ou avec une nation. Avec toutes les précautions à prendre autour du film de Roberto Benigni, « la vie est belle » et de la représentation qu’il donne de l’horreur de la Shoah, nous pouvons en retirer l’enseignement qu’il existe toujours, même dans les situations les plus affligées, une forme d’espérance qui vient de la façon de raconter l’histoire.
Et la force du peuple juif, c’est de ne jamais dépeindre son destin de manière doloriste, mais de continuer, quelles que soient les circonstances, à porter l’espérance et la joie, qui sont notre marque. Oui, nos ancêtres ont été esclaves. Oui, ils ont même été idolâtres. Mais malgré cela, au pied du Sinaï, ils ont su se retrouver, comme un seul homme, et recevoir le message universel qui leur était transmis, dans les Tables de la Loi, pour qu’ils le mettent en pratique et qu’ils en deviennent les porte voix dans le monde.
Notre époque peut se raconter dans la souffrance et elle peut se vivre dans l’Esperance. C’est à ce choix que nous pousse la fête de Pessah. Le judaïsme français a toujours porté en lui la force de croire en son avenir et en sa vocation. Que cette fête de la Délivrance soit celle de la Libération complète et voit l’avènement d’un temps de fraternité et de bonheur.
Pessah Cacher vesameah !
Haïm Korsia
Grand Rabbin de France
Membre de l’Institut
(Extrait d’Actualité Juive du 20/04)