Elie Wiesel : la mémoire juive d’un témoin pour la paix

Par Joël Mergui

Une immense tristesse s’est abattue sur le monde à l’annonce du décès d’Elie Wiesel (zal), un homme rare et profondément croyant qui, revenu du monde des ténèbres, n’aura cessé de proclamer sa foi en D. et en l’homme.

 

Adolescent rescapé des camps d’Auschwitz-Birkenau et de Buchenwald, il a inlassablement interrogé le monde à l’aune d’Auschwitz et du Judaïsme, pour que personne n’oublie que l’horreur fut et qu’elle peut renaître, là où l’indifférence et le déni de l’humanité règneront encore en maîtres exclusifs.

 

D’Élie Wiesel (zal) qui vécut en France et choisit d’écrire en français comme par défi pour témoigner de l’indicible dans la langue du cartésianisme rigoureux, je fus touché comme beaucoup d’entre nous par sa conscience morale si juive qui le poussait à proclamer que : «  Plus je serai juif, plus je serai sensible aux joies et aux souffrances des autres peuples (…) A chaque fois qu’un drame éclate dans le monde, je le ressens comme juif. Je veux être un témoin et par-dessus tout un témoin juif. »

Indéniablement pourtant, sans juger personne, c’est la foi profonde, rigoureuse, d’Elie Wiesel (zal) qui m’a toujours bouleversé. Lui qui avait vécu l’indicible et avait tenté de l’écrire, lui qui était revenu des ténèbres fidèle à lui-même, élevé dans la tradition hassidique, il était resté profondément croyant et avait continué d’étudier le Talmud toute sa vie avec humilité et ferveur. Ancré dans le passé, vivant intensément le présent et tourné vers l’avenir, Elie Wiesel (zal) déclarait : « je ne pratique pas pour simplifier les choses, mais pour les compliquer. C’est parce que je crois en D. qu’une multitude de questions se posent à moi. »

Amoureux de Jérusalem, lui qui refusait de faire de la politique, était préoccupé par son statut et son avenir juif : «  Le fait que je n’habite pas Jérusalem est secondaire; Jérusalem m’habite. A jamais indissociable de ma judéité, elle reste au centre de mes engagements et de mes rêves (…) Ce que j’y éprouve, je ne le ressens nulle part ailleurs. Un sentiment de retour à la maison de mes ancêtres. Le roi David et Jérémie m’y attendent. »

Si son œuvre majeure aura empêché dès l’après-guerre que l’oubli et l’indifférence s’ajoutent à la Nuit, il craignait d’être  » le dernier survivant, » conscient qu’avec la disparition du dernier témoin à avoir vécu la réalité concentrationnaire dans sa chair, la révision et la négation de l’histoire ne manqueraient pas de se déchaîner. Prix Nobel de la paix pour son action inlassable en faveur d’un monde plus juste, il fut en 2013 l’objet d’une écoeurante campagne de diffamation qui remettait en doute son martyr jusqu’à l’existence du numéro tatoué sur son bras par les bourreaux nazis.

 

Une page se tourne après le départ d’un des derniers grands témoins de l’impensable Événement. Elle appelle de grands combats pour la mémoire de la Shoah. Comme Alain Finkielkraut, je crois aussi que « le temps n’a pas cicatrisé cette blessure. Il a ouvert et creusé la plaie. »

 

Juif, témoin, croyant et acteur majeur pour la paix, Elie Wiesel nous a tracé un chemin. Sa mémoire que nous honorons est indissociable de La Mémoire et de toute notre mémoire juive. « L’âme juive, disait-il, porte en elle la blessure et l’amour d’une ville (Jérusalem) sans laquelle elle se sentirait mutilée, et dont les clés sont protégées par notre mémoire. »

Celle-ci est à la fois un devoir vis à vis des disparus et un engagement vis à vis des vivants. « Zakhor vé Chamor » nous enseigne notre tradition qui nous ordonne de nous souvenir mais aussi de protéger l’avenir du Judaïsme et des Juifs comme une mission juive à portée universelle. Elie Wiesel (zal) nous a transmis le flambeau du cœur de la Nuit. A nous tous d’en entretenir la flamme et de la transmettre, à notre tour, aux générations suivantes pour que l’horreur, plus jamais, ne s’abatte sur le monde et n’éclipse l’humanité.