Créer les conditions du miracle, par Joël Mergui

Dans la longue liste des persécuteurs du peuple juif, le roi Antiochus IV occupe une place particulière. Il n’a pas cherché à détruire le Temple de Jérusalem et n’a pas voulu non plus éliminer physiquement le peuple juif. En vouant un culte à Zeus au sein même du Temple et en interdisant la pratique des mitsvot, il est celui qui a voulu transformer les Juifs en Grecs et tenté de dissoudre le Judaïsme dans la brillante civilisation hellénique.

Nous devons à Matattias et à sa poignée d’Hasmonéens courageux et fidèles, d’être rentrés en résistance et d’avoir sauvegardé notre tradition et notre vision du monde. L’unique préoccupation des Hasmonéens victorieux a été d’« inaugurer » à nouveau le Temple, en cherchant sans attendre à allumer son chandelier géant. Cette urgence à vouloir aussitôt rallumer la Menorah témoigne de la pureté des motifs de l’engagement militaire des Maccabées et de la véritable nature du soulèvement populaire à savoir, la défense du Judaïsme menacé de mort lente par acculturation.

Au mérite des Hasmonéens d’aller à l’essentiel, s’ajoute également leur persévérance. Devant le spectacle désolant des réserves d’huiles méthodiquement souillées, ils ne se sont pas laissés décourager. Armés d’une volonté sans faille, ils ont fait preuve d’une confiance inébranlable. Ils ont continué de chercher, malgré tout, partout, jusque dans le moindre recoin, une fiole d’huile pure intacte qui puisse rallumer la flamme du Judaïsme en même temps que celle de la Menorah. Non seulement ils ont trouvé une petite fiole, mais celle-ci a duré tout le temps nécessaire à la fabrication d’huile pure, soit huit jours. Alors que la quête paraissait improbable et que tout semblait perdu, ils ont néanmoins persévéré avec confiance et, ce faisant, ils ont créé les conditions du miracle.

Au delà de la victoire militaire des Hasmonéens, nous célébrons au travers de la fête de Hanouka, le refus de ne croire qu’à ce que nos yeux voient (la supériorité numérique de l’armée grecque, la modernité de sa civilisation, les réserves d’huile dévastées etc) et la certitude que la réalité ne se limite pas au monde matériel ou à sa seule rationalité.

Porteurs d’un message unique et pourtant universel, nous croyons que les hommes peuvent et doivent transformer le monde, au lieu de le subir et d’être façonnés par lui. Nous croyons que tous nos actes ont un sens et peuvent être lourds de conséquences. Nous croyons être capables, lueur après lueur, action après action, de faire briller la lumière au sein de l’obscurité et d’en repousser les frontières. Nous croyons au pouvoir et à la pratique des Mitsvot. Nous le croyons si fort et avec tant de confiance que, depuis plus de 2000 ans, alors que tous les peuples antiques ont disparu, les Juifs – qui se sont toujours partout intégrés mais jamais assimilés – continuent de célébrer Hanouka et de vivre au rythme quotidien du Judaïsme.

Nous sommes les continuateurs persévérants des Hasmonéens face aux nouvelles idéologies que rêve de nous imposer l’Europe moderne. Nous perpétuons le miracle de Hanouka au présent. Nous nous souvenons, à chaque événement de notre calendrier, de notre devoir de transmission et de sauvegarde du Judaïsme, par la diffusion de sa lumière et de ses valeurs.

Il est par exemple une belle coutume à l’occasion de la Mitsva de l’allumage de donner aux enfants des pièces de monnaie pour leur donner l’opportunité de réaliser une autre Mitsva porteuse de lumière : celle de porter secours à son prochain, de pratiquer la Tsedaka.

La conception juive de Tsedaka repose fondamentalement sur la notion de « justice. » Une justice humaine, à construire par des actes, de façon concrète et par définition à la portée de tous. Que l’on soit riche ou pauvre, le devoir de justice n’exonère personne, dans la mesure où chacun est soumis à la même exigence d’être juste, à proportion de ses moyens. Dans cet esprit, depuis l’époque du Temple, le devoir du Maaser consiste, pour chaque juif, à modifier l’ordre des choses et à créer l’équilibre social en redistribuant 10% de ses revenus.

S’inscrivant dans notre belle tradition de partage, le Consistoire a toujours assumé sa part de responsabilité et de solidarité et participé à la campagne nationale pour la Tsedaka ou au soutien de toutes les causes justes. Tous les ans, fidèle à l’injonction religieuse d’aider d’abord « les pauvres de ta ville, » le Consistoire lance l’appel de Hanouka, parallèlement aux allumages communautaires, par l’intermédiaire du Secours juif, dont la vocation est d’apporter cette aide ponctuelle de proximité aux plus démunis. Ce fond de secours ne se substitue pas aux institutions juives spécialisées mais il permet, par exemple, d’aider dans l’anonymat des familles qui ne peuvent offrir des Tefilins à un futur Bar Mitsva, ou la cérémonie de mariage à un jeune couple dans le besoin. Il vient en aide aux malades isolés, acquitte des frais d’études exceptionnels, remplit un frigo vide, un panier de chabbat ou de Pessah et permet de célébrer les fêtes dans la joie. Il assure, par le biais des communautés, cette assistance de proximité au quotidien auprès de personnes en grande précarité tout en protégeant leur dignité et celle de leur famille.

Leur venir en aide, dans la plus grande discrétion, est notre priorité et celle des donateurs qui savent que rien n’est dû, mais que tout est don, à l’image de la lumière. Au moment de perpétuer la Mitsva de la lumière de Hanouka, souvenons-nous de notre devoir de justice. Souvenons-nous des Hasmonéens face aux Grecs. Nous pouvons et nous devons, nous aussi, refuser la fatalité de croire que nous ne pourrons jamais rien changer. Si une petite flamme peut faire reculer la nuit et rendre confiance, un don – quel qu’il soit – peut apporter un peu de justice et entretenir la flamme de l’espoir.

Nous aussi, créons les conditions d’un miracle.

Hag Sameah.