Chana Tova, par le Grand Rabbin de France Haïm Korsia

Chers amis,

Nous avons collectivement évité le drame qu’aurait pu être un second tour de l’élection présidentielle avec un choix impossible. Certes, le Front national est encore présent au second tour, ce qui est déjà une forme de défaite, mais avec une abstention aussi forte et un contexte aussi lourd, la démocratie sort gagnante. A reconstruire, affaiblie, mais gagnante.

Les votants ont porté haut les couleurs de notre drapeau, en redonnant à la France l’espérance de fraternité nécessaire à la construction d’un destin commun. Un vent nouveau semble désormais souffler sur le pays, à l’image de ce qu’affirme la Guemara (Kala rabbati 53a) qui nous enseigne d’aimer le « peut-être », le renouvellement, le possible, le potentiel en devenir et de détester ce qui est béni, c’est-à-dire, déjà connu, limité parce que plus du tout ouvert sur l’avenir. S’il est encore trop tôt pour en juger, c’est toutefois l’élan qui semble poindre.

Lancé au printemps 2015, le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme a manifestement porté ses fruits, comme le montrent les statistiques du SPCJ faisant état d’une baisse très significative des actes antisémites en 2016. Ces chiffres ne sont en rien un satisfecit, mais un encouragement à poursuivre collectivement nos efforts, pour veiller à la répression sans compromis et aux sanctions des actes antisémites, mais aussi et surtout continuer à développer des actions éducatives à destination de nos jeunes, pour qu’ils apprennent à connaître et respecter leur prochain. La prise de conscience des ravages causés par la haine et la violence par la société s’est faite dans la douleur et les larmes, mais elle est aujourd’hui un signe d’espoir. Celui que l’on puisse continuer d’agir et de vivre avec une part d’insouciance, sans jamais rien oublier du passé. De ce point de vue, notre société a beaucoup à apprendre de la société israélienne qui concrétise au quotidien ce paradoxe. Elle assume sa modernité et sa quête de bonheur sans rien abandonner de son expérience et de son histoire.

Se plaçant dans les pas de ses prédécesseurs, les Présidents Chirac et Hollande, Le Président Macron l’a fait remarquablement en rappelant la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv. Oui, Vichy et Londres étaient certes en opposition, mais indissolublement intriquées, elles étaient ensemble cette France née de l’Etrange Défaite. En rappelant cette évidence pourtant encore remise en cause aujourd’hui par d’aucuns se parant d’habits indignes, il s’est inscrit dans la droite ligne de ceux qui érigent l’exigence de vérité en principe fondamental, comme Simone Veil, disparue cette année à laquelle fut rendu un hommage juste et mérité de la Nation en la cour d’honneur des Invalides. En œuvrant pour les droits des femmes, l’amélioration des conditions de vie des détenus, la construction d’une Europe réconciliée mais aussi la transmission de la mémoire de la Shoah, elle s’est fait connaître et reconnaître par nos compatriotes ; elle fut admirée et tant aimée des Français.

Son souvenir nous honore, autant qu’il nous oblige collectivement, tant il nous faut faire connaitre et poursuivre ses si nombreux engagements pour le bien de la société. Il en va de même des six millions d’âmes victimes de la barbarie nazie, parmi lesquelles les rabbins et ministres-officiants français à qui nous avons rendu hommage l’été dernier en inaugurant, avec le concours du Keren Kayemet Leisrael, un bosquet dans une forêt du parc d’Adoulam en Israël portant leurs noms.

Pour sauver nos enfants et peut-être les générations futures, il faut sauver la mémoire. Evelyn Askolovitch, Elie Buzyn, Ida Grinspan et Georges Loinger sont de ceux qui, depuis des années, incarnent de si belle manière ce fondamental devoir de transmission en témoignant de leur histoire auprès des jeunes. En les élevant à la dignité de Commandeur des palmes académiques, la République, par la voix de la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, a salué leur engagement. Oui, ces grands du judaïsme sont aussi de grands Français car ils conjuguent les vocations convergentes des deux espérances. Qu’ils en soient infiniment remerciés et continuons à écouter et à transmettre à notre tour leurs témoignages comme celui de tous nos anciens. C’est Florence Parly, la Ministre des Armées, qui les a reçus dans l’Ordre, comme pour attester qu’ils sont tous les quatre des soldats de la paix, des soldats de France.

La disparition du Grand Rabbin Sitruk z’l nous a tous laissés orphelins. Nombreux sont ceux qui ont choisi d’honorer son souvenir en contribuant à l’écriture du Sefer Torah de l’unité, initié par le Consistoire, qui aura vocation à voyager dans la France entière, d’une synagogue à l’autre. Ainsi, nous poursuivrons modestement son œuvre de transmission du judaïsme et de ses valeurs. Il a révolutionné le judaïsme français en le rendant plus authentique et, par la même, plus fidèle au génie hexagonal de l’enrichissement des uns par la diversité des autres. Il avait perçu très vite notre besoin collectif de nous retrouver dans des grands moments de partage et c’était la magie unique des Yom Hathora. C’est d’ailleurs dans cette voie que je vous invite à renouveler l’extraordinaire expérience que constitue le Chabbat mondial qui aura lieu les 27 et 28 octobre prochains (Lekh Lekha) : une façon de partager des moments forts avec des personnes qui ne sont pas des habitués du chabbat et de nos synagogues. Il y a urgence à être fidèle au message du Grand Rabbin Sitruk z’l et à aller chercher ces futurs…nouveaux fidèles. A cet égard, je suis particulièrement fier d’avoir été présent à Blois, lors de la création, il y a quelques mois, d’une communauté juive organisée, à l’initiative du Président du Consistoire de la région Centre-Ouest, Paul Levy.

Et c’est vous qui le ferez. Je ne suis, avec le président Joël Mergui, que la somme de tous vos efforts et de vos réussites. Et ils sont immenses. J’ai eu le bonheur de vous rencontrer en vos communautés, d’admirer le travail extraordinaire que vous faites, que vous soyez présidents, ou présidentes, et j’y tiens à cette implication des femmes, que vous soyez administrateurs, rabbins, délégués rabbiniques, volontaires ou acteurs à un niveau ou à un autre de la vie communautaire, je sais le dévouement, l’abnégation, l’engagement et le sens de l’intérêt collectif qui est le vôtre. Le Consistoire doit sa naissance à Napoléon, mais son existence, il vous la doit. Que tous vos efforts soient une bénédiction pour vous et pour vos proches, pour vos communautés et pour la communauté nationale.

Je voudrais attirer votre attention sur le livre le plus important et le plus discret de chaque maison juive, un livre que l’on consulte très régulièrement et que l’on ne voit pratiquement plus, tant il est présent : le calendrier.

En effet, les fêtes, les horaires des offices, la paracha de la semaine, le début ou la fin du chabbat sont autant de questions qui se posent à celui qui veut comprendre où est sa place dans son temps. Et c’est l’une des grandes spécificités du judaïsme que d’être maître du temps.

Lorsque les Hébreux sortent d’Egypte, ils reçoivent une mitsva, un premier commandement, qui définit à lui seul l’avenir de ce peuple d’esclaves qui accède à la liberté : « Ce mois sera pour vous le premier des mois ».

C’est la force de l’homme libre que de choisir le temps dans lequel il veut s’inscrire, et l’homme pieux sait que pour être en harmonie avec ses semblables et son Créateur, il doit vivre certains moments à l’unisson de ses frères et de ses sœurs. C’est le sens du mot « contemporain », qui veut littéralement dire : partager le temps.

C’est bien l’homme qui décide du temps, et la Halakha nous le confirme avec cette question simple : quand commence chabbat ? S’agit-il seulement d’un temps astronomique situé avant le coucher du soleil ? La Loi nous apprend que le chabbat débute lorsque la communauté commence à faire l’office de vendredi soir, même avant cette heure-là.

Ce sont donc bien les hommes qui définissent un temps, dans Le temps que l’Eternel nous donne.

Fasse l’Eternel que notre temps à venir soit serein et porteur de joie et de bonheur pour chacun et chacune, et qu’il nous permette de voir se réaliser la prophétie d’Isaïe (XI, 6) « Le loup habitera avec l’agneau, Et le tigre se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et le bétail qu’on engraisse seront ensemble, et un petit enfant les conduira. »

Soyons capable de porter cet idéal de paix entre nous, dans nos communautés.

Que cette année soit douce et belle, qu’elle vous apporte satisfactions et succès.

Puisse cette année être porteuse de santé, de bonheur, de paix et de prospérité pour la communauté juive, pour la France, pour Israël et pour le monde tout entier.

Puissiez-vous, ainsi que vos proches et celles et ceux qui vous sont chers, être inscrits dans le Livre de la Vie.

Chana Tova.