« Maintenant que les travaux sont achevés, j’ai hâte enfin de voir cet endroit saint ouvert aux pèlerins du monde entier et à tous les visiteurs curieux d’histoire juive »
Jeudi, le drapeau français flotte au-dessus du portail portant l’inscription « République Française, Tombeau des Rois. » Une dizaine de personnes attendent obstinément l’ouverture du site, désespérément fermé depuis plus de 15 ans. Nous ne sommes pas en France, mais à Jérusalem à côté de la tombe de Simon Le Juste dans la nécropole deux fois millénaires où jadis étaient enterrés les Saints de Jérusalem. Les hommes ont sorti leurs livres de prières et dehors, toujours devant les grilles d’enceinte fermées, ils prient. Ce jeudi, le grand rabbin de Jérusalem Shlomo Amar est là, sous la pluie battante, lui aussi interdit d’accès aux tombes de trois Saints chers au judaïsme : Kalba Savoua, Nakdimon Ben Gourion et la reine de Mésopotamie Hélène d’Adiabène, dont le sarcophage orné d’inscriptions hébraïques y a été prélevé – avec l’accord des autorités ottomanes – par l’archéologue Félicien de Saulcy, en 1864, pour y être conservé au Musée du Louvre.
L’histoire du lieu est à l’image de l’histoire mouvementée de la région, où tout ce qui est simple devient étonnamment compliqué dès lors que les juifs font valoir leur légitimité sur leur patrimoine historique et religieux.
Le Consistoire est alors saisi pour agir auprès des autorités françaises et faire cesser les profanations. Le droit ottoman interdisant à un particulier juif d’acheter des terres, le Consistoire se tourne alors vers Bertha Amélie Bertrand, apparentée à la famille des frères Émile et Isaac Pereire, laquelle contacte un accord avec le Consul de France pour acquérir, en son nom, cet important élément du patrimoine juif à seules fins de le protéger et de le conserver : « Je, soussignée Bertha Amélie Bertrand, déclare qu’en faisant l’acquisition des terrains sur lesquels se trouve le tombeau dit « Tombeau des Rois », à Jérusalem, je n’ai d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument. J’appartiens par mon père, Serve-dieu Lévy et par ma mère, Noémie Rodriguez-Henriquez, à des familles israélites. C’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le Tombeau des rois… »
Cette phrase si simple en apparence est à mes yeux un exemple de vertu, de sens, de clairvoyance, mais aussi de responsabilité communautaire et de valeur religieuse et historique. Une plaque commémorative orne aujourd’hui encore l’un des murs de la cour de la Grande synagogue de la Victoire à Paris et rappelle le lien étroit qui unit la famille Pereire, la France et le Consistoire au Tombeau des rois.
Ce lieu revêt en effet une grande importance pour la communauté juive puisqu’il fut construit, à l’époque du second Temple, pour être le caveau d’une grande reine juive. Après s’être convertie au Judaïsme, Hèlene d’Adiabène, quitta tout pour s’installer à Jérusalem et ses dons au Temple comme ses bienfaits prodigués au peuple de Judée sont attestés aussi bien par Flavius Joseph que par le Talmud et rappellent que cette femme extraordinaire fut une figure marquante du Judaïsme antique.
La tradition rapporte qu’y furent également inhumés Kalba Savoua, le beau-père de l’illustre Rabbi Akiva et Nakdimon Ben Gourion, riche philanthrope qui jadis offrait aux centaines de milliers de pèlerins une ressource inestimable de l’eau potable. Voilà pourquoi durant des siècles, les juifs furent nombreux à prier devant ce caveau, dont l’importance et la magnificence ont été notamment rappelée par Pausanias pour qui ce tombeau figurait parmi les sept merveilles du monde antique.
Sans considération pour la sainteté du lieu, le lieu fut longtemps utilisé pour des concerts, des festivals de musique arabe, des fouilles scientifiques et – jusqu’à la légende selon laquelle il contiendrait un véritable trésor – tout a contribué à dénaturer et profaner gravement la destination naturelle du lieu.
Légataire des volontés de l’héritière de l’illustre famille Pereire, qui avec tant d’autres mécènes et grandes personnalités juives ont largement contribué à bâtir la France, notre pays sait tout le poids de sa dette morale à l’égard de sa généreuse donatrice comme envers la communauté juive et l’histoire juive, à qui appartient légitimement ce patrimoine juif.
Certes, l’analyse de certains faits politiques et diplomatiques, pourrait laisser croire une intention de délégitimer le lien religieux et historique des juifs avec Jérusalem. Effectivement, aucune inscription n’indique nulle part qu’il s’agit d’un caveau juif sacré. Sur le site du Consulat de France qui répertorie le site, il n’est pas non plus question de tombes juives. Lors d’un colloque organisé au sujet des fouilles archéologiques du lieu, à aucun moment il n’est rappelé que ce Tombeau n’est autre que le Tombeau de saintes personnes de la communauté juive, qui à leur époque ont apporté énormément au Judaïsme.
Président du Consistoire, longtemps j’ai contribué à stopper les outrages faits à ce lieu hautement saint. J’ai défendu sans relâche le droit des juifs à venir y prier et s’y recueillir et le droit de chacun de découvrir ce patrimoine de l’humanité. J’ai toujours tenu à préserver le patrimoine cultuel et culturel du judaïsme, et à garder une foi inébranlable envers la France, protectrice et amie de la communauté. Aujourd’hui que de magnifiques travaux ont été réalisés, j’ai enfin hâte de voir cet endroit saint s’ouvrir aux prières des pèlerins du monde entier et à tous les visiteurs curieux d’histoire juive.
Je suis certain que notre pays, si épris de valorisation d’histoire universelle en permettra bientôt l’entrée à tous dans le but de favoriser l’accès de tous à un pan entier de la culture, de l’histoire universelle et du patrimoine juif mondial.