« Que celui qui a faim vienne et mange ! » par Joël Mergui, Président du Consistoire

Cette invitation qui ouvre la Hagadah ne doit pas être considérée comme une simple formule rituelle de portée purement symbolique, nous devons au contraire la prendre au pied de la lettre et littéralement ouvrir de plus en plus nos portes et nos cœurs à mesure que nous approchons des festivités de Pessah.


Mais pourquoi à ce moment précis du calendrier ?  La bienfaisance n’est-elle pas un impératif moral applicable en tout temps ? Evidemment, mais il est des périodes plus propices que d’autres pour accomplir certains actes et recevoir certains bienfaits spirituels. De même que le mois d’Adar est propice au succès et à la joie, que le mois de Av dévoile nos faiblesses à nos ennemis, que Tichri favorise le rapprochement avec D-ieu, le mois de Nissan est, plus encore que les autres, voué à la Tsédaka (souci d’autrui) et à la délivrance.


La fête de Pessah, qui a une dimension familiale très marquée, pourrait, si on n’y prenait garde, nous entraîner vers un certain égoïsme de clan, un entre-soi domestique qui nous ferait oublier les besoins des autres. Quand la joie et l’excitation sont à leur comble, que toute la famille est affairée aux préparatifs de la fête, qui va trouver l’allant et la disponibilité, comme notre père Avraham, pour courir après d’hypothétiques hôtes de passage afin d’accomplir la mitsva de l’hospitalité ? Qui aura la présence d’esprit de songer à tous ces Juifs, bien plus nombreux qu’on ne le croit, condamnés par les vicissitudes de la vie à une solitude et un dénuement qui ne leur permettent pas de fêter Pessah’ dans la dignité, et encore moins avec les marques d’opulence qu’il nous est demandé d’afficher l’espace d’un soir… différent des autres soirs ?


Et pourtant c’est bien ce qui est requis par notre Tradition : s’élever de l’individuel au collectif, se hisser de l’intime familial à l’accueil de l’étranger, car où serait la grandeur de la fête de Pâque si elle n’était axée que sur le rituel des agapes du séder ! Comme on le trouve exposé dans la pensée d’Emmanuel Lévinas, l’acte de manger est l’acte matériel par excellence, mais il suffit de tourner ce simple geste vers autrui en lui donnant à manger pour en faire l’acte le plus spirituel qui soit, d’où l’on apprend que le passage du monde physique à la transcendance tient à peu de chose : le simple déplacement du MOI à TOI, du quant-à-soi au visage de l’autre.


A l’approche de chaque fête, le rôle du Consistoire va bien delà des services strictement religieux (surveillance de la viande, des vins, des matsot, liste des produits cacher, vente du hamets, rappel des lois, informations sur les fêtes, etc.). Par le biais des innombrables services caritatifs offerts notamment par son réseau de synagogues (paniers de Pessah, sédarim communautaires, aides financières aux milliers de familles en difficulté…) notre institution, depuis son origine, a fait de l’action sociale de proximité l’un de ses principaux piliers.


L’encouragement aux dons (ex. paniers de Pessah), la main tendue aux personnes seules, souffrantes ou démunies sont, au même titre que les activités éducatives et religieuses, au cœur de la vocation de notre institution, c’est pourquoi le Consistoire a créé récemment le SECOURS JUIF, dont l’objet est de coordonner et développer en synergie l’ensemble de ses actions à caractère social – jusque là disséminées à travers ses différents services et son réseau de communautés.


A l’heure où nous nous apprêtons à connaître les joies des retrouvailles en famille ou dans des séjours hôteliers confortables, gardons à l’esprit la devise de Pessah qui ouvre la Hagadah et lui donne tout son sens : « Que celui qui a faim vienne et mange, que celui qui est dans le besoin vienne et marque la fête de Pessah ».


Alors à la façon de notre patriarche Avraham, préparons-nous à accueillir tous les visages de l’autre : pauvre, isolé, âgé, malade, étranger… pour leur restituer la dignité qui n’est pas une faveur mais leur appartient de droit et de façon inaliénable depuis la délivrance du joug égyptien.


Par un curieux « hasard », dont seule la Torah a le secret, le commentateur Rachi, nous apprend que l’accueil des trois étrangers sous la tente d’Avraham eut lieu bizarrement à Pessah… quatre siècles avant la sortie d’Egypte. Comme si l’esprit de Pessah avait préexisté au Pessah historique, comme si la vertu de l’hospitalité et l’amour du prochain portaient en eux les germes de la rédemption future !


Que la grâce de Pessah vous ouvre les portes de la Liberté, de la Joie, de la Paix, de l’Amour de D-ieu et d’Israël !