Rennes: «C’est l’auberge espagnole, on y trouve ce que l’on y apporte. Nous avons beaucoup donné et reçu encore plus.»

« Rennes, c’est l’auberge espagnole, on y trouve ce que l’on y apporte. Nous avons beaucoup donné et reçu encore plus. »



A Rennes on compte l’une des plus petites communautés juives en France. Son petit nombre ne reflète pas sa volonté de transmettre un judaïsme breton dont elle est la seule ambassadrice. Retour sur une communauté avec à sa tête, une femme présidente.


Ann Nusimovici, vous êtes Présidente de la communauté de Rennes. Quel est votre parcours ? Quelles ont été vos motivations pour devenir Présidente ?

Ann Nusimovici: Je suis née à Brooklyn et j’ai étudié les sciences politiques Je me disposais à poursuivre mes études de droit, mais voici exactement 50 ans, j’ai rencontré un juif parisien. Six mois après nous nous sommes mariés et depuis un demi-siècle je suis française.

Il y a 45 ans mon mari a été nommé Professeur à l’Université de Rennes. La communauté était petite et ne disposait d’aucun local. Nous avons participé à l’édification de la communauté et de notre première « synagogue ». Aider à bâtir cette communauté a entrainé  une vigilance accrue dans l’éducation juive de nos enfants. Rennes, c’est l’auberge espagnole, on y trouve ce que l’on y apporte. Nous avons beaucoup donné et reçu encore plus.

Je n’avais aucune aspiration à devenir présidente mais la communauté était sur le point de sombrer. C’est pourquoi avec le soutien indéfectible de mes amis et de mes proches, j’ai posé ma candidature en février 2014.

Comment vivez-vous ce rôle en tant que femme ? Existe-t-il certaines contraintes ou au contraire des libertés qu’un homme n’aurait pas à ce poste ?

A.N : Je ne compte pas dans le minyan, c’est un avantage car je peux me permettre d’arriver en retard aux offices. Mais c’est un désavantage car nous avons souvent bien de la peine à réunir dix hommes pour la prière.

Notre communauté est ressentie comme très familiale par les juifs de passage. C’est dû à la faiblesse de nos effectifs mais aussi à une approche féminine. La majorité de nos administrateurs sont des administratrices.

Beaucoup de personnes manifestent une plus grande méfiance à mon égard qu’elles ne le feraient pour un homme occupant ma position. Je dois donc m’investir plus et mieux et exercer une vigilance accrue.

Pouvez-vous nous retracer l’histoire de votre communauté ?

A.N : C’est au début des années 1960 que la communauté juive de Rennes s’est constituée sous une forme organisée avec principalement des familles juives d’Afrique du Nord avec quelques familles ashkénazes, dont des rescapés des camps d’extermination.

En 1963 une première association a vu le jour présidée par Monsieur Rozenfeld qui organisa les premiers offices de Yom Kippour.

A la fin de l’année 1969, l’activité sans relâche d’un groupe d’amis réunis autour de Monsieur Henri Ohana aboutit à l’inauguration de notre premier local attribué par la municipalité. Plus tard, elle accorda un  appartement à la communauté dans la maison de quartier de Maurepas, qui servit pendant une vingtaine d’année de synagogue notre  communauté.

Au vingt et unième siècle, les efforts conjugués du Maire, Monsieur Edmond Hervé, de la Fondation Safra, de la communauté juive et de son président Monsieur Bernard Lobel ont conduit à l’édification d’un véritable centre culturel et cultuel, le centre Edmond J.Safra, qui fut inauguré le 20 janvier 2002.

Comment s’organise la vie juive à Rennes au quotidien et pour les jours de fêtes ?

A.N : La vie juive à Rennes est très difficile à organiser, tout d’abord sur le plan alimentaire. Nous commandons tout à Paris ou à Strasbourg et pour Pessah la communauté achète et distribue l’essentiel.

Une autre difficulté est le manque d’officiant. Dans les années 1970 nous avions la chance d’avoir des étudiants. Puis, pendant plus de trente ans, Éric Granet a assumé les fonctions de ministre officiant. Aujourd’hui, Monsieur Henri Ohana, qui a toujours assisté les ministres officiants, est seul à faire les offices et il est âgé de plus de 90 ans ! Pour les grandes fêtes nous faisons appel, quand c’est possible, à des officiants extérieurs à Rennes : Hazac, Loubavitch ou autres.

Les activités sociales et culturelles que nous montons parfois grâce aux personnes dévouées de la communauté connaissent toujours le succès.

Quels sont les grands projets qui vous tiennent à cœur et comment comptez-vous les réaliser ?

A.N : Mon seul projet est la pérennité de notre synagogue qui est la seule en Bretagne. C’est encore loin d’être assuré. Tous les enfants attachés à la pratique du judaïsme quittent la région lorsqu’ils sont adultes.

Je veux surtout me trouver un successeur femme ou homme, efficace, dévoué, apprécié dans la communauté, estimé dans la société civile et surtout honnête et jeune. Il est tout à fait normal qu’une femme préside une communauté juive, il est anormal qu’elle soit aussi âgée que moi !

Que conseilleriez-vous à une famille qui voudrait découvrir ou même s’installer dans votre communauté ?

La Bretagne est une région agréable où on ne souffre peu de l’antisémitisme. Je donnerais le conseil que l’on aurait pu me donner lorsque je suis venu en 1969 : si vous voulez vous investir et participer activement à la communauté, venez. Il est possible d’élever des enfants juifs et attachés à nos valeurs à Rennes. Nous sommes nombreux à l’avoir fait, mais cela nécessite un important investissement. En tout cas je vous promets un accueil chaleureux.